Peut-on être embauché par une intelligence artificielle ?
La propagation de la révolution numérique que nous vivons n’épargne par le domaine du recrutement. Dans les années à venir, serons-nous vraiment embauchés par une intelligence artificielle ?
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Publié le 10/02/2020
Selon une étude publiée dans l’actualité par l’Apec, en France, 65% des entreprises de plus de 1 000 salariés sont équipées de progiciels. Ces derniers leur permettent de publier des offres d’emploi ainsi que de recevoir, scanner et trier les candidatures. Avec l’essor du numérique, ces progiciels, dont le terme fait d’ailleurs un peu old school, laissent petit à petit leur place à des intelligences artificielles. Elles peuvent, en quelques secondes, de savoir quel est le bon candidat parmi des centaines de profils débusqués sur le web. Face à cette apparition et montée en puissance de la « Deep Tech », l’avenir du métier du recrutement est-il intimement lié à celui de l’intelligence artificielle ? Quelle transformation doit-on prévoir ? En d’autres termes, demain, serons-nous tous embauchés par une intelligence artificielle ?
Cet article propose un zoom et un décryptage de ce thème pour comprendre le potentiel et les opportunités de cette rupture technologique.
Qu’est-ce qu’une intelligence artificielle ?
Faire en sorte qu’une machine soit capable d’imiter le raisonnement de l’Homme et d’évoluer afin d’être encore plus performante que celui-ci.
Le dictionnaire Larousse donne cette définition du terme « intelligence » : « l’aptitude pour un être humain à s’adapter à une situation, à choisir des moyens d’action en fonction de circonstances ». L’intelligence se caractérise donc, dans le langage courant, par un ensemble de fonctions mentales propres au commun des mortels. Dans ce cas, comment donc un ordinateur peut-il être intelligent ?
Marvin Lee Minsky, l’un des créateurs de l’intelligence artificielle, parfois abrégée par le sigle « IA », définit cette dernière comme « la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont pour l’instant accomplies de façon plus satisfaisantes par les femmes et les hommes, car elles demandent des processus mentaux tels que l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique ». Il s’agit alors de faire en sorte qu’une machine soit capable d’imiter le raisonnement de l’Homme et d’évoluer afin d’être encore plus performante que celui-ci.
Le thème du Machine Learning est aussi une solution d’intelligence artificielle. Elle permet à des ordinateurs, ou à des programmes, d’apprendre et de se développer sans avoir été programmés à cet effet. Pour apprendre, l’ordinateur a besoin d’analyser des centaines de données afin de pouvoir s’entraîner.
La start-up Easyrecrue a réussi à mettre au point un outil d’intelligence artificielle qui analyse le ton, le discours et le comportement des candidats à l’embauche. En visionnant de nombreuses vidéos d’entretiens d’embauche, l’outil d’intelligence artificielle permet alors de voir et de prédire si un individu est vraiment fait pour le job auquel il postule.
Comment peut-on être embauché par une intelligence artificielle ?
L’algorithme de sourcing
Outil qui permet d’analyser des centaines de milliers de CV en ligne.
Selon une étude publiée par Pôle Emploi en 2018, plus de 44% des recrutements étaient qualifiés de « difficiles » par les employeurs. Les deux principales raisons invoquées pour expliquer cette difficulté de recrutement sont le déficit de compétences et d’attractivité.
Face à cette réalité, l’intelligence artificielle est une innovation d’usage qui permet de rechercher les candidats en parcourant le web. Le robot va parcourir le réseau social LinkedIn par exemple, dans le but de trouver les profils qui correspondent exactement au poste recherché. Dans ce cas, on appelle « algorithme de sourcing » l’outil qui permet d’analyser des centaines de milliers de CV en ligne. Son rôle est de faire parvenir au service RH les personnes les plus compatibles avec l’offre publiée. Ici, ce procédé permet de résoudre le problème du déficit de compétences. Cette dernière fait en effet parvenir aux responsables RH la liste des candidats sélectionnés en amont par l’intelligence artificielle.
Par exemple, Eptica Lingway est une solution qui permet de trouver et d’analyser sur internet de nombreux CV en un temps record. Son but est de trouver qui est le plus compatible avec une offre d’emploi publiée. Difficile alors de ne pas faire de parallèle avec les Sentinelles sorties tout droit de Matrix.
L’algorithme de filtrage
Cette étape permet donc, grâce à l’intelligence artificielle, d’analyser en profondeur le profil d’un candidat.
Lorsque l’algorithme de sourcing a fait son job en identifiant sur une « short list » un certain nombre de profils dont le CV correspond à l’offre publiée, c’est au tour de « l’algorithme de filtrage » de prendre le relais, en analysant de façon plus fine cette sélection.
En effet, l’intelligence artificielle peut ici extraire les compétences du candidat. Elle décrypte chaque mot rédigé sur le CV, et analyse les concepts qui peuvent leur être assimilés. Ainsi, si le robot détecte qu’un candidat a exercé des postes à responsabilités, en trouvant par exemple le mot « responsable » sur son CV, il lui sera attribué des compétences en leadership. Cette étape permet donc, grâce à l’intelligence artificielle, d’analyser en profondeur le profil d’un candidat. Elle va alors déterminer, de manière plus fine, s’il correspond vraiment à l’offre d’emploi.
Ces outils permettent donc aux services RH des entreprises de mieux identifier les meilleurs candidats. Il reste donc l’étape de l’entretien d’embauche qui, à priori, ne pourra jamais être confiée à une intelligence artificielle. En sommes-nous cependant vraiment sûrs ?
L’algorithme de prédiction
L’intelligence artificielle est capable aujourd’hui, en visionnant la vidéo d’un entretien d’embauche, de savoir tout ou presque d’un candidat.
Lors d’un entretien d’embauche classique, le recruteur échange avec le candidat sous forme de questions réponses afin d’en savoir davantage sur lui. Il doit interagir avec ce dernier afin d’évaluer s’il correspond au profil recherché. A ce stade, l’entreprise peut à priori se passer de l’intelligence artificielle.
Pourtant, les nouvelles techniques qui émergent aujourd’hui vont encore plus loin. En effet, les algorithmes de sourcing et de filtrage permettent d’abord au recruteur de prémâcher l’entretien d’embauche. Grâce aux analyses réalisées par l’intelligence artificielle, le recruteur connaît déjà une partie des qualités du candidat. De plus, des solutions comme Easyrecrue permettent aujourd’hui de filmer un entretien d’embauche. L’objectif est d’analyser chez un individu son comportement, sa gestuelle et le ton de sa voix. Ainsi, l’intelligence artificielle peut analyser, en un temps record, la communication verbale et non verbale d’un candidat lors d’un entretien d’embauche. Elle peut, par exemple, identifier si un candidat est déstabilisé par une question, s’il est stressé ou s’il est dynamique. En bref, l’intelligence artificielle est capable aujourd’hui, en visionnant la vidéo d’un entretien d’embauche, de savoir tout ou presque d’un candidat.
Dans le cas présent, l’intelligence artificielle a besoin de l’intervention humaine. En effet, sans les questions posées par le recruteur, et les réponses données par le candidat, rien ne peut être analysé. Il semble donc qu’aucune technologie soit encore en mesure de prendre en charge le déroulement du recrutement du début jusqu’à la fin.
Pourtant, une start-up russe a réussi à développer une DRH virtuelle nommée Vera. Elle prend la forme d’un avatar féminin, qui fait passer des entretiens d’embauche. Vera analyse en temps réel la communication verbale et non verbale du candidat afin de décrypter sa personnalité. A ce propos, n’hésitez pas à consulter notre article de Blog pour réussir son entretien d’embauche.
On peut donc considérer l’intelligence artificielle comme un appui et une aide au quotidien pour le recruteur. Cela nous invite alors à nous interroger quant à la question suivante : l’avenir du responsable RH est-il en jeu ?
Dans le futur, serons-nous tous recrutés par une intelligence artificielle ?
Ces avancées technologiques sont donc en mesure de générer des gains de temps et de productivité phénoménaux.
Il semble évident de dire pourquoi il y a de grandes chances que les recruteurs continuent d’utiliser l’intelligence artificielle afin de trouver les candidats parfaits. En effet, aucune femme ni aucun homme n’est capable aujourd’hui de parcourir le web et de trouver, en quelques heures, les profils, en recherche active d’emploi ou non, qui correspondent parfaitement à une offre publiée. Ces avancées technologiques sont donc une source de progrès et de gains de temps et de productivité phénoménaux pour les entreprises qui recrutent. Cela permet donc d'accélérer et d’optimiser le processus de recrutement, pour l’employeur comme pour le candidat.
De plus, l’avantage de confier son recrutement à cette technologie permet au recruteur de s’extraire de toute subjectivité et de mettre de côté ses affects. Par exemple, si un individu est le dernier à passer après une série de 25 candidats, il y a de grandes chances pour que le recruteur soit fatigué. Par conséquent, il sera plus facilement irritable. Personne ne peut éviter d’être influencé par ses émotions lors de la prise de décision. L’intelligence artificielle n’en exprimant pas, cela permet de garantir au candidat une réelle objectivité quant à son profil.
Cette absence d’émotion dans le jugement est-il cependant un réel atout dans la stratégie de recrutement ?
Déléguer à 100% son processus de recrutement à une intelligence artificielle semble aujourd’hui être une erreur.
Aujourd’hui, les recruteurs accordent autant si ce n’est plus d’importance aux « soft skills » qu’aux « hard skills ». L’intelligence émotionnelle d’un individu, c’est à dire sa capacité à gérer ses émotions et à les adapter en fonction de celles des autres est une aptitude clé et essentielle chez un candidat qui souhaite travailler en équipe. Comment une intelligence artificielle, dépourvue d’intelligence émotionnelle, peut donc être qualifiée pour recruter le candidat idéal ? Cette question met en évidence l’idée selon laquelle déléguer à 100% son processus de recrutement à une intelligence artificielle paraît être aujourd’hui une erreur. En effet cette technologie n’est pas être en mesure d’exprimer un sens émotionnel comparable à celui de l’être humain, et nécessaire pour appréhender certaines qualités invisibles sur un CV. Si l’intelligence informatique se base sur les qualités objectives rédigées sur le CV pour juger la qualité d’un candidat, cette méthode ne permet pas de détecter des profils atypiques, pétris d’aptitudes, mais n’ayant pas suffisamment d’expériences pour être retenus dans la sélection.
Et voilà qu’une limite fait écho à une autre : l’algorithme ne reste qu’un programme développé par l’être humain. En effet, les formules mathématiques et les fonctions qui lui permettent de fonctionner sont pensées par les programmeurs qui le construisent. Amazon par exemple, s’est doté en 2014 d’un outil d’intelligence artificielle capable de filtrer les candidatures. L’entreprise a dû retirer ce dispositif et revenir aux méthodes traditionnelles. En effet, le programme ne laissait passer que des CV masculins au détriment des CV féminins, à cause d’un biais technologique présent dans les entrailles du programme.
Par conséquent, dire que l’intelligence artificielle permet de s’extraire définitivement du biais cognitif propre à l’être humain n’est pas recevable. Cette approche ne reste donc pas sans faille.
En conclusion
Sergey Brin, le co-fondateur de Google a déclaré « Le nouveau printemps dans l'intelligence artificielle constitue le développement le plus significatif dans l'informatique auquel j'ai pu assister dans ma vie ».
Son émergence semble délivrer les recruteurs de tâches fastidieuses et extrêmement chronophages. Ce profond bouleversement leur permet de réaliser des gains de temps et de productivité phénoménaux au regard de l’efficacité d’un ordinateur pour collecter, trier et analyser des CV et des candidatures.
Cependant, l’intelligence artificielle n’est pas encore en mesure de prendre en charge le recrutement de A à Z. Des défis technologiques restent pour le moment non résolus. Il semble donc que la présence de l’Homme soit encore indispensable au bon déroulement du recrutement dans son ensemble. Il faut espérer que l’avenir à court terme du responsable RH ne soit pas véritablement menacé. Pourtant, n’est-ce pas simplement qu’une question de temps ?